Hommage au Professeur honoraire André Aeschlimann (1929–2016)
La disparition subite, le 4 mars dernier, d’André Aeschlimann, Professeur honoraire à la Faculté des Sciences, ancien Directeur de l’Institut de Zoologie, ancien Doyen de la Faculté des Sciences et ancien Vice-Recteur de l’Université de Neuchâtel (Suisse) laisse un grand vide dans le monde scientifique national et international. C’est une personnalité charismatique qui nous a quittés.
André Aeschlimann est né le 29 septembre 1929 à Genève. Il fréquente les écoles primaire et secondaire de Delémont de 1935 à 1946, puis le gymnase de Porrentruy jusqu’en 1949. C’est à Bâle qu’il poursuit ensuite ses études à l’Université et à l’Institut Tropical, où il opte pour la biologie, et la zoologie en tant que branche principale. En 1958, il obtient le titre de Docteur es Sciences après avoir étudié le développement embryonnaire d’une tique africaine en association avec une bactérie responsable des fièvres récurrentes. Il effectue ce travail sous la direction du Professeur Rudolf Geigy, qu’il nommera toujours « patron ». De 1959 à 1961, il vit avec sa famille près d’Abidjan où il est Directeur du Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire. Il y étudie la biologie et l’écologie des tiques du pays. De retour en Suisse, il est assistant jusqu’en 1970 à l’Université de Bâle. Durant cette période, il se rend aux Etats-Unis, au Rocky Mountain Laboratory à Hamilton où il fait la connaissance du chercheur suisse Willy Burgdorfer qui a, lui aussi, effectué sa thèse avec Rudolf Geigy. Au début des années 80, W. Burgdorfer découvrira la bactérie de la borréliose de Lyme. André Aeschlimann passe également quelques mois à l’Université de Berkeley en Californie et à l’Institut Tropical de Hambourg en Allemagne. En 1966, il obtient son habilitation. C’est en 1970 que commence sa carrière de Professeur ordinaire de zoologie, d’abord à l’Université de Fribourg jusqu’en 1972, puis à l’Université de Neuchâtel jusqu’à sa retraite en 1994.
Lors de son arrivée à l’Institut de Zoologie, André Aeschlimann, spécialiste des tiques, « tiquologue » comme il aimait à le dire, succéde à Jean-Georges Baer, un autre parasitologue de renom. Il tient alors à perpétuer la tradition neuchâteloise de l’étude des vers parasites tout en développant intensivement la recherche sur les tiques et leurs pathogènes. En 1980, Willy Burgdorfer passe une année sabbatique à Neuchâtel. Les deux chercheurs et l’équipe locale découvrent alors une nouvelle espèce de pathogène qu’ils nomment Rickettsia helvetica. Lors de ce séjour, Willy Burgdorfer fait des observations fondamentales qui l’amèneront à la découverte aux Etats-Unis de Borrelia burgdorferi, l’agent de la borréliose de Lyme. Quelques mois plus tard, l’équipe neuchâteloise décrira B. burgdorferi dans les tiques de Suisse. Le laboratoire de parasitologie de Neuchâtel s’est enrichi de différents experts et il devient alors une référence mondiale en « tiquologie ».
André Aeschlimann a dirigé des dizaines de travaux de licence, certificat et thèse et a publié plus de 180 articles, le dernier datant de fin 2015.
Sur le plan national et international, les qualités d’André Aeschlimann lui valent d’exercer de hautes fonctions. Il est membre du Conseil National de la Recherche du Fonds National de la Recherche Scientifique (FNS) (1973–1983), il préside l’Association Mondiale des Parasitologues (1986–1990), l’Académie Suisse des Sciences Naturelles (1983–1988), puis le Conseil National du FNS (1988–1996). Relevons encore qu’il a cofondé en 1989 le Centre Suisse de Formation pour la Nature et l’Environnement (SANU) de Bienne et a été membre du Conseil de fondation de la Fondation Marcel Benoist pour l’encouragement scientifique (1983–1996).
De nombreuses distinctions ont récompensé les résultats de ses recherches. Il a été, par exemple, récipiendaire du prix de l’Institut Neuchâtelois en 1989 et du prix Emile Brumpt qu’il reçoit à l’Institut Pasteur de Paris en 2002, décerné par l’Académie Nationale de Médecine. Il a été membre de plusieures sociétés scientifiques. Deux universités françaises, Rennes et Aix-Marseille, lui ont décerné le titre de Docteur honoris causa.
Doté d’un talent d’orateur peu commun et grand pédagogue, André Aeschlimann fascinait ses étudiants lors de ses cours de biologie et de parasitologie qu’il savait rendre vivants et inoubliables. Il a imprégné de sa riche personnalité de nombreuses cohortes d’étudiants. Cordiales et respectueuses telles étaient les relations qui s’établissaient entre lui, ses collaborateurs et ses étudiants en thèse, qui, pour certains d’entre eux, l’appelaient « patron », tout comme lui-même l’avait auparavant fait avec son propre directeur de thèse. Vulgarisateur hors pair, il dispensait également son savoir avec aisance et passion lors de conférences magistrales dont chacun se souvient. Il savait subjuguer son auditoire et rendre les tiques sympathiques.
On ne peut parler d’André Aeschlimann sans relever sa passion pour l’Afrique sub-saharienne et sa faune, et pour l’art africain dont il était fin connaisseur. Il était également grand amateur de musique classique.
Son rayonnement personnel, sa cordialité, son abord facile et sa jovialité lui ont permis de réunir autour de lui de nombreux chercheurs, collègues et collaborateurs dont certains sont devenus de fidèles amis. En science, son nom continuera d’être écrit et prononcé par le monde médical et les « tiquologues » grâce à un microorganisme pathogène, transmis par des tiques, Rickettsia aeschlimanii, nommé ainsi en son honneur par l’équipe du Professeur Didier Raoult de Marseille en 1997. Dans le cœur des personnes qui l’ont côtoyé, restera le souvenir d’un être chaleureux et captivant.
A son épouse, ses deux filles et leurs familles nous adressons nos sincères condoléances.
Dr Lise Gern
Directrice de recherche
Laboratoire d’éco-épidémiologie
de l’Université
Case postale 158
2009 Neuchâtel — Suisse
lise.gern@unine.ch