Eduardo Dei-Cas


Eduardo Dei-Cas ; 1/10/1945 à Montevideo (Uruguay)- 12/01/2014 à Lille

 

Eduardo Dei-Cas 
Eduardo Dei-Cas

Eduardo Dei-Cas, para­si­to­logue connu et recon­nu, entre autre, pour ses études sur le cham­pi­gnon oppor­tu­niste Pneumocystis, est décé­dé à Tournai, en Belgique, le 12 Janvier 2014, après avoir lut­té pen­dant 2 ans contre la  maladie.

Né à Montevideo (Uruguay) le 1 Octobre 1945, il y étu­die la Biologie (Facultad de Humanidades y Ciencias) et la Médecine (Facultad de Medicina) au sein de l’Universidad de la República, Montevideo. Le 12 mai 1966, il épouse Norah Giraldi, Professeur en langues his­pa­niques  (Université de Lille 3)  et  décorée,

le 30 Novembre 2013, des insignes de che­va­lier de l’ordre natio­nal du mérite pour ser­vices ren­dus à l’é­du­ca­tion. Ils ont quatre filles, Paula (Montevideo, 1969), Beatriz (Montevideo, 1971), Mathilde (Tourcoing, 1978) et Chloé (Tourcoing, 1980).

La for­ma­tion médi­cale d’Eduardo Dei-Cas a débu­té avec le Pr J.E. Mackinnon, un émi­nent myco­logue, et le Pr J.J. Osimani, l’un des prin­ci­paux contri­bu­teurs aux avan­cées dans la connais­sance de la toxo­plas­mose en Uruguay. Entre 1960 et 1974, ces deux pro­fes­seurs ont suc­ces­si­ve­ment diri­gé le dépar­te­ment de Parasitologie-Mycologie à la Faculté de Médecine, Universidad de la República1. Eduardo apprit d’eux l’ap­proche diag­nos­tique en Mycologie et la bio­lo­gie fas­ci­nante des ces­todes du genre Spirometra. En 1969, il est éga­le­ment deve­nu le col­la­bo­ra­teur du Pr F. Mañé-Garzón, grand spé­cia­liste des Trématodes en Amérique du Sud, qui lui a fait par­ta­ger sa pas­sion pour la zoo­lo­gie des inver­té­brés et lui a ensei­gné la rigueur scien­ti­fique. Dans son labo­ra­toire, Eduardo étu­dia trois orga­nismes de l’es­tuaire du Rio de la Plata: (i) l’a­na­to­mie des Némertes, exemple d’Acœlomates libres, (ii) l’a­dap­ta­tion aux varia­tions de sali­ni­té de l’an­né­lide poly­chète Nereis suc­ci­nea et du crabe Chasmagnathus gra­nu­la­ta.

Il fut diplô­mé en Biologie en 1973 puis obtint le diplôme de Docteur en Médecine en 1975. A cette époque, sa pas­sion pour la musique et les arts plas­tiques l’a éga­le­ment conduit à prendre des cours du soir à l’é­cole des beaux-arts (figure 1). Eduardo a tou­jours eu à cœur de trans­mettre son savoir et il com­men­ça, à l’âge de 23 ans, par ensei­gner l’Histoire Naturelle et la Biologie à des étu­diants de pre­mier cycle (1968–1975). Pendant cette période, il don­na éga­le­ment des cours pra­tiques en Parasitologie, des confé­rences sur la taxo­no­mie en Zoologie et sur la Zoologie des Invertébrés à la Facultad de Medicina et la Facultad de Humanidades y Ciencias.

Après avoir entre­pris les démarches néces­saires pour effec­tuer un doc­to­rat en Parasitologie à l’é­tran­ger, il reçut une sub­ven­tion du gou­ver­ne­ment fran­çais (1975 — 1977) et fut accueilli par le Pr J. Biguet (Faculté de Médecine, Université du Droit et de la Santé, Lille, France) et le Pr S. Deblock (Faculté de Pharmacie, Université Droit et Santé, Lille, France). En 1978, il défend sa thèse de doc­to­rat sous la direc­tion des Prs M. Durchon et N. Dhainaut (Université des Sciences et Techniques, Lille, France). L’objet d’é­tudes de sa thèse était le sys­tème ner­veux et le paren­chyme des formes adultes du ver plat Schistosoma man­so­ni. La même année, il reçoit l’au­to­ri­sa­tion offi­cielle d’exer­cer la méde­cine en France. Après avoir rejoint, en 1976, l’u­ni­té de recherche INSERM 42 (Biochimie et Biologie para­si­taires et fon­giques, Villeneuve d’Ascq, France) diri­gée par le Pr A. Vernes (et plus tard par le Pr D. Camus), il tra­vaille éga­le­ment sur Plasmodium et sera le témoin, en 1979, des pre­mières cultures in vitro de Plasmodium fal­ci­pa­rum. Il a aus­si étu­dié les méca­nismes d’ac­tion et de résis­tance aux médi­ca­ments anti­pa­lu­déens, l’in­fec­tio­si­té des gamé­to­cytes plas­mo­diaux et la phy­sio­pa­tho­lo­gie du palu­disme. De plus, il a eu le plai­sir de contri­buer avec les Prs J. Fruit et D. Poulain au déve­lop­pe­ment de l’ex­per­tise en Mycologie médi­cale à Lille alors que l’im­pact de ces mala­dies oppor­tu­nistes aug­men­tait dans la population.

En 1985, il fut nom­mé MCU-PH en Parasitologie et Mycologie médi­cale à la Faculté de méde­cine et au Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille (Université de Lille 2, France). Un an plus tard, il crée l’é­quipe de recherche sur Pneumocystis avec le sou­tien du Pr D. Camus, alors à la tête de l’INSERM-U42 et qui lui a appor­té ses com­pé­tences en immu­no­lo­gie para­si­taire. C’est au cours de la pan­dé­mie de SIDA que Pneumocystis a réel­le­ment atti­ré l’at­ten­tion de la com­mu­nau­té médi­cale car la pneu­mo­nie à Pneumocystis (appe­lée PcP) était, à cette époque, la plus fré­quente infec­tion indi­ca­trice de la mala­die sidéenne. L’équipe a ain­si reçu un sou­tien finan­cier des agences natio­nales de recherche sur le SIDA (Sidaction, ANRS) et du minis­tère fran­çais de la Recherche (Programme de Recherche Fondamentale en Microbiologie et Maladies Infectieuses et Parasitaires, PRFMMIP). Avec l’aide du Pr A.E. Wakefield (Oxford, United-Kingdom) et du Pr E. Calderón (Seville, Spain), Eduardo Dei-Cas a réus­si à fédé­rer la recherche sur Pneumocystis en Europe (BIOMED‑1 en 1994–1997, Eurocarinii en 2000–2004). Il a éga­le­ment été invi­té à par­ta­ger son exper­tise dans plu­sieurs groupes de réflexion et de tra­vail sur la ges­tion du SIDA (1996–1998).

Eduardo Dei-Cas Pendant près de 30 ans, Eduardo et son équipe ont appor­té une contri­bu­tion consi­dé­rable à la com­pré­hen­sion de la bio­lo­gie de ce micro-orga­nisme. La mise en place de sys­tèmes de culture repro­duc­tibles à court terme et de modèles ani­maux de pneu­mo­cys­tose ont per­mis par exemple de révé­ler l’ul­tra­struc­ture et le cycle de vie du para­site, de mettre en exergue l’é­troite spé­ci­fi­ci­té d’hôte de Pneumocystis, de décrire une nou­velle espèce de Pneumocystis, de ren­for­cer la posi­tion taxo­no­mique de ce cham­pi­gnon et enfin de mon­trer que l’hôte immu­no­com­pé­tent fait par­tie du réser­voir de l’in­fec­tion à Pneumocystis. En 1998, l’é­quipe a démé­na­gé à l’Institut Pasteur de Lille et Eduardo a élar­gi son domaine de recherche par l’é­tude du pro­tiste Cryptosporidium. Un réseau hos­pi­ta­lier natio­nal (CryptoAnofel) a été mis en place pour recueillir des échan­tillons humains de Cryptosporidium et a per­mis d’é­tu­dier la diver­si­té géné­tique des Cryptosporidium. Un modèle ani­mal murin de cryp­to­spo­ri­diose a éga­le­ment été éla­bo­ré et a per­mis à l’é­quipe de démon­trer qu’un seul oocyste de C. par­vum pou­vait pro­vo­quer une cryp­to­spo­ri­diose et sur­tout, plus tard, de révé­ler que C. par­vum était capable d’in­duire des adé­no­car­ci­nomes diges­tifs chez les souris.

Ses acti­vi­tés de recherche sur Cryptosporidium l’ont éga­le­ment conduit à consa­crer une par­tie de son temps à des ques­tions de san­té publique. En 1999, il est deve­nu membre du groupe de tra­vail qui a éla­bo­ré des méthodes nor­ma­li­sées pour détec­ter les oocystes de Cryptosporidium dans l’eau et les œufs d’hel­minthes patho­gènes dans les boues d’é­pu­ra­tion (Association fran­çaise pour la nor­ma­li­sa­tion, AFNOR). Il a éga­le­ment été nom­mé expert à l’Anses (Agence natio­nale de sécu­ri­té sani­taire de l’alimentation, de l’environnement et du tra­vail) où il fut membre du groupe de tra­vail sur les infec­tions à pro­to­zoaires liées aux ali­ments et à l’eau et fut nom­mé en 1997 conseiller pour le CSHSP (Conseil supé­rieur d’hy­giène et de san­té publique, Ministère de la Santé).

Toutes ces contri­bu­tions ont pris leurs racines dans l’es­prit d’ou­ver­ture et de col­la­bo­ra­tion constante qui ont conduit Eduardo à par­ta­ger et confron­ter ses idées avec des col­lègues Européens, d’Amérique du Nord, Centrale, du Sud et d’Asie du Sud-Est. Il a acti­ve­ment par­ti­ci­pé à presque tous les congrès inter­na­tio­naux sur les pro­tistes oppor­tu­nistes (IWOP) depuis leur créa­tion en 1988 (Bristol) et a même orga­ni­sé l’un d’eux à Lille en 1997. En 2008, à Paris, il fut le pré­sident du comi­té scien­ti­fique de l’EMOP (European Multicolloquium of Parasitology) et pro­po­sa un pro­gramme scien­ti­fique excep­tion­nel qui contri­bua gran­de­ment à la réus­site de ce congrès, en réunis­sant près de 800 scien­ti­fiques. En 2009, il a orga­ni­sé, en col­la­bo­ra­tion avec le Pr E. Calderón, une confé­rence com­mé­mo­ra­tive pour célé­brer le pre­mier cen­te­naire de la décou­verte de Pneumocystis (grâce au sou­tien de l’Instituto de Salud Carlos III, du Ministère espa­gnol des Sciences et de l’in­no­va­tion et de la Commission euro­péenne), où bon nombre des prin­ci­paux cher­cheurs dans le domaine de la pneu­mo­cys­tose se sont retrouvés.

Eduardo était un excellent pas­seur de connais­sances et il tenait à les par­ta­ger en Parasitologie et Mycologie médi­cale avec des étu­diants et cher­cheurs du monde entier. Ainsi, fut-il invi­té à de nom­breuses reprises aux Pays-Bas (Dr S. De Hoog, CBS, Utrecht), au Mexique (Pr M.L. Taylor, Facultad de Medicina, Universidad Nacional Autónoma de México, UNAM), au Chili (University of Chile, Santiago), au Liban (Dr H. Monzer, Université Libanaise, Centre de recherche AZM), en Argentine (Dr C.E. Canteros, INEI — ANLIS, Institut natio­nal des mala­dies infec­tieuses), au Congo et au Gabon, pour don­ner des confé­rences ain­si que des for­ma­tions pra­tiques sur ces thématiques.

Plus récem­ment, en 2010, il a coor­don­né un pro­jet ANR regrou­pant 8 labo­ra­toires fran­çais et por­tant sur les para­sites des pois­sons, afin de mieux iden­ti­fier les risques et défi­nir des stra­té­gies de pré­ven­tion pour le consom­ma­teur. Dans le cadre de ce pro­gramme de recherche, il n’a pas hési­té à prendre part à une cam­pagne d’é­chan­tillon­nage des para­sites à bord de La Thalassa (navire océa­no­gra­phique de l’Ifremer) pen­dant 12 jours. Il a éga­le­ment été nom­mé expert de la FAO (Food and Agriculture Organization) pour éva­luer le risque lié aux para­sites des pois­sons au Maroc. La même année, il fut éga­le­ment nom­mé membre cor­res­pon­dant de l’Académie Royale de Médecine et Chirurgie de Cádiz (Espagne).

L’énoncé des contri­bu­tions scien­ti­fiques d’Eduardo ne serait pas com­plet si on ne men­tion­nait pas son impli­ca­tion dans la réflexion éthique sur la recherche, qu’il a encou­ra­gée au sein de son équipe. Pendant près de 15 ans, Eduardo a accom­pa­gné les tra­vaux de recherche en éthique du Centre d’éthique médi­cale de l’Institut Catholique de Lille en par­ti­ci­pant par exemple à des sémi­naires et ate­liers autour des enjeux éthiques du déve­lop­pe­ment des Sciences de la vie, de l’EBM (Evidence-Based Medicine), de la méde­cine pré­dic­tive, etc. En 2005, il devient membre asso­cié de l’é­quipe d’ac­cueil EA4031, Ethique de la recherche cli­nique, Institut Catholique de Lille – Université Lille 2. C’est en 2008, à l’EMOP à Paris, qu’il orga­nise un sym­po­sium consa­cré aux ques­tions éthiques et épis­té­mo­lo­giques en Parasitologie. Puis, sous la direc­tion du Pr. F. Worms, il devient membre de l’équipe péda­go­gique d’un sémi­naire de l’UFR de phi­lo­so­phie de l’Université de Lille 3 consa­cré à l’Ethique du Vivant. Enfin, depuis 2012, sous sa forte impul­sion, un groupe thé­ma­tique inti­tu­lé « Éthique et recherche» a été lan­cé dans l’Espace Ethique Hospitalier et Universitaire de Lille (EEHU, Université Lille 2). Celui-ci vise à inter­ro­ger la place, au 21ème siècle, d’un cher­cheur d’un Centre Hospitalier Universitaire (de la recherche fon­da­men­tale à la recherche appli­quée) dans les Sciences de la vie et de la santé.

Eduardo Dei-Cas détes­tait regar­der dans le rétro­vi­seur. Son décès, aus­si dou­lou­reux soit-il, ne doit pas nous empê­cher d’al­ler de l’a­vant et de pour­suivre ce qu’il a entre­pris avec tant d’éner­gie et de pas­sion. Comme il l’a écrit en 2003, en essayant d’a­na­ly­ser sa car­rière: “Devant des cas patho­lo­giques ou des faits bio­lo­giques fas­ci­nants, je m’ef­force à  ce que l’é­ru­di­tion et l’au­dace dans la for­mu­la­tion et l’ap­pli­ca­tion d’hy­po­thèses et de théo­ries soient asso­ciées à un sens pous­sé de l’ef­fi­ca­ci­té, tant sur le plan de la pra­tique médi­cale que sur celui de la pro­duc­tion scien­ti­fique. Ceci est deve­nu pour moi la “règle d’or” du méde­cin-cher­cheur hos­pi­ta­lo-uni­ver­si­taire.

 

consul­ter le docu­ment Hommage à Eduardo Dei-Cas.pdf