In memoriam Professeur Alain Chabaud
Un naturaliste de base
Originaire de ce vert pays Normand, Alain Chabaud se révèle, très tôt, un naturaliste complet. Peut-être le fut-il d’emblé, peut être aussi, comme il aimait à le souligner, fut-il influencé, dès sa prime jeunesse, par un instituteur passionné de Nature, à cette époque heureuse où les haies et les boccages n’avait pas encore succombé au remembrement. Ce tempérament qu’il ne cessera de revendiquer, sous-tendra sa longue et belle carrière : parvenu aux plus hautes fonctions académiques, il restera toujours un « homme de terrain ». Bien plus, à l’image d’Emile Brumpt en Afrique Centrale et de Camille Desportes en Afrique occidentale, il conduira ses collaborateurs loin des paillasses, des collections et des bibliothèques, vers de lointains et périlleux bivouacs, toujours fertiles en découvertes. On le verra au Maroc (1949), en Iran (1951), à Madagascar (1957) en République Centrafricaine (1965), en Côte d’Ivoire (1966), en Guyane (1970) au Brésil (1972), en Guadeloupe (1973) en Malaisie (1974), en Australie ((1976). Au terme de ces missions, l’ « Equipe-Chabaud » ramenait toujours un abondant matériel d’études, assorti de projets innovants. Bien plus, à ces occasions, plusieurs chercheurs étrangers de renom devenaient des collaborateurs assidus et… des Français de cœur ! Tel fut le cas des Australiens Ian Beveridge et Dave Spratt. De cette fulgurance épistémologique naitra et s’épanouira, au sein du Muséum National d’Histoire Naturelle, un Centre de Parasitologie exceptionnel, une véritable «ruche scientifique », bruissant, jour et nuit, du va-et-vient des chercheurs, chacun attentif à décrire et nommer un «objet» inconnu, à réviser une collection prestigieuse ou à acclimater un réservoir ou un vecteur. L’installation réussie d’un parasite nouveau était toujours l’objet d’une joyeuse cérémonie : enfin, un cycle, jusqu’alors énigmatique, allait livrer ses secrets !
Et c’est dans cet esprit, qu’en juin 1968, la « Maison-Chabaud » au grand complet avait fui la «chienlit parisienne » pour se réfugier dans la Montagne Noire Orientale, squattant le village abandonné de La Borie Nouvelle (Hérault) où notre équipe montpelliéraine «Ecologie des leishmanioses» stationnait chaque été, pour étudier le comportement trophique et l’infestation naturelle des Phlébotomes. Certes, les « Parisiens » avaient apporté leur matériel et leurs instruments d’optique pour poursuivre leurs propres travaux ou achever la rédaction d’une thèse de doctorat es Sciences, mais, la nuit venue, la plupart d’entre eux, le «patron» en tête, rejoignait notre groupe pour participer à l’établissement des cycles nycthéméraux des vecteurs ou à l’isolement des Leishmania. Nous devons à ces instants privilégiés, non seulement le perfectionnement de nos propres techniques, mais aussi de nombreuses idées originales sur la structure, le fonctionnement et la spécificité du « système Phlébotomes-Leishmania ».
Au demeurant, tant au laboratoire que sur le terrain, la pluridisciplinarité était, pour Chabaud, un impératif opérationnel. Citons, en particulier, l’apport du regretté médecin-vétérinaire Francis Petter, Professeur de Zoologie au Muséum et spécialiste reconnu des Rongeurs désertiques, en particulier des Gerbillidae. Mieux que quiconque, Francis Petter savait réaliser de fructueuses captures, transporter les animaux en pleine vigueur et les installer in fine dans l’animalerie du laboratoire parisien. Avant lui, la reproduction en continu de certains parasites était considérée comme improbable. Après son intervention, plusieurs taxons nouveaux, de Vers ou de Protistes, assortis de leur vecteur et de leurs réservoirs, devaient essaimer dans les centres de Parasitologie et de Pharmacologie du Monde entier.
Un enseignant-chercheur visionnaire
Dès l’obtention de son titre de Docteur en Médecine, en 1945, Alain Chabaud intègre le service de Parasitologie de la Faculté de Médecine de Paris, dirigé par Emile Brumpt. Après un an d’exercice en qualité de Préparateur, il est nommé Assistant (1947), puis Chef de Travaux (1948), enfin Maître de Conférences agrégé (1952). Parallèlement, il poursuit ses études à la Faculté des Sciences où il obtient les titres de Licencié ès Sciences (1947) et de Docteur ès Sciences Naturelles (1954). Entre temps (1950), il est intégré en qualité de Directeur-adjoint, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, dans le Laboratoire d’Helminthologie et de Parasitologie comparée, créé par Robert-Philippe Dollfus. Il en devient Directeur en 1958. Deux ans plus tard, à l’âge de 37 ans, il est nommé Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle. Pour ce faire, une chaire traditionnelle est spécialement créée à son endroit (Zoologie, Vers), une structure efficace et souple qu’il ne cessera de magnifier, même au-delà de sa retraite (1990). Certes, ce succès précoce est à mettre sur le compte d’une belle intelligence et d’une forte volonté, mais, comme il le faisait remarquer à l’occasion de la remise de la médaille d’argent par la Société Française de Parasitologie, il s’inscrivait aussi dans la période des «trente glorieuses», ces décennies de l’après-guerre qui devaient porter la recherche française à son plus haut niveau d’excellence. En ces temps heureux, se mettaient en place ou se restructuraient les grands Organismes de recherche, tels le CNRS (1939), l’INRA (1946) ou l’INSERM (1964). C’était enfin une époque économiquement faste qui permettait la création de superbes laboratoires, abondamment pourvus en matériels performants, en chercheurs et en techniciens motivés. Leur direction incombait à de « vrais Patrons », à l’ancienne. Le charismatique Alain Chabaud fut l’un d’entre eux.
Le promoteur du «paradigme évolutionnaire»
Il est rare qu’une Epreuve de Titres et Travaux soit pleinement représentative de la carrière d’un chercheur. Celle d’Alain Chabaud fait partie de cette fraction. Avec une plume claire et directe, il nous livre, en deux fascicules, l’essentiel de son parcours d’enseignant-chercheur. Dans chacun d’eux, il présente le bilan d’une période-clé de sa vie professionnelle. A leur lecture j’ai été submergé par une intense jubilation, celle de ma jeunesse de chercheur, déjà instruite par mes maîtres montpelliérains, les naturalistes Hervé Harant et Louis Emberger.
Le premier fascicule (1960) retrace l’intégration du médecin-naturaliste Alain Chabaud dans le laboratoire de Parasitologie de la Faculté de Médecine de Paris (1946–1960). Sa précocité scientifique fait l’admiration de tous. Deux raisons à cela : 1° le caractère généraliste des cours et des travaux pratiques qui traitent indifféremment de Parasitologie fondamentale, d’Epidémiologie et de Pathologie exotique. Cette polyvalence l’amènera à s’imprégner durablement de nombreux groupes systématiques, qu’il s’agisse de parasites proprement dits, de vecteurs, Arthrododes et Mollusques, ou de réservoirs Vertébrés. 2° la diversité et la compétence des enseignants qu’il côtoie journellement. Il n’est que de citer les Jacques Callot, Camille Desportes, Robert-Philippe Dolffus, Maurice Langeron, sans oublier les savants étrangers venus chercher un complément d’inspiration dans la Maison Brumpt Parmi eux, je ne mentionnerai que deux des plus prestigieux, les Professeurs P.C.C. Garnham et Ettore Biocca.
Certes l’Epreuve de titres débute par un hommage au Chef de Service, Emile Brumpt, mais, pour nous, son intérêt réside moins dans ces traditionnelles louanges que dans la présentation de nouveaux paradigmes en Parasitologie évolutive. Ceux-ci sont initialement basés sur les Nématodes: un groupe systématique difficile, mais qui va permettre à Alain Chabaud d’établir des liaisons solides entre certains caractères à forte charge évolutive et les stades larvaires ou sexués correspondants. Parmi les retombées fondamentales, citons les notions de «lignée évolutive», de «co-évolution hôte-parasite» ou de «capture», sans oublier le fascinant problème de la «spéciation linéaire ou ponctuée ». Dans tous les projets, le Maître demande à ses élèves de prendre en compte l’Ecologie et la Chorologie des hôtes, au même titre que la plasticité intrinsèque des parasites, celle qui sera reprise plus tard par les généticiens molécularistes. A un autre titre, mentionnons son adhésion enthousiaste à la «dérive des continents»: une théorie révolutionnaire pour l’époque, défendue avec brio par Max Vachon, son collègue au Muséum.
Le second fascicule de l’Epreuve (1977) fait état des résultats obtenus après l’application concrète des paradigmes et des nouveaux concepts. On y découvre la seconde vie scientifique d’Alain Chabaud, celle du Professeur au Muséum et du chef d’Ecole respecté. Il est invité officiellement dans de nombreux pays du Monde, entre autres : Madagascar (Institut Pasteur, 1961) Italie (Premier Congrès International de Parasitologie, 1964), République Centrafricaine (Station de La Maboké, 1965), Congo-Brazzaville (ORSTOM, 1066), Iran (Congrès International de Médecine Tropicale, 1968), Tchécoslovaquie (Congrès d’Ecologie Parasitaire, 1970), Canada (Université de Guelph, 1970), USA (Deuxième Congrès International de Parasitologie, 1970), Union Soviétique (Académie des Sciences de l’URSS, 1973), Autriche (Troisième Congrès International de Parasitologie,1973), et Brésil (Coopération Franco-Brésilienne, 1976). En 1968 il est honoré du Prix Foulon de l’Institut de France. Un an plus tard Il est élu Président de la Société Zoologique de France. Au demeurant, si Alain Chabaud n’était pas particulièrement attiré par les distinctions honorifiques, c’est avec beaucoup de spontanéité et de tact qu’il avait accepté d’être décoré au grade de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur (1974). Cette distinction lui était d’autant plus chère que la demande avait été fortement appuyée par son collègue et ami Jean Dorst, Professeur de Zoologie, Directeur du Muséum National d’Histoire Naturelle et infatigable défenseur de la faune, de la flore et des milieux de vies.
Travaux de recherches
Pour ne pas alourdir le présent hommage, nous regrouperons, en quelques exemples, les travaux de Alain Chabaud. Certes, les premiers en date ont été réalisés à la Faculté de Médecine, mais la majorité, surtout ceux conduits au Muséum, ont répondu à des appels d’offre issus des Universités, du CNRS, de l’OMS, de l’INRA ou du Muséum lui-même. Pour la plupart, ils ont intégré des collaborateurs extérieurs et des élèves en cours de scolarité. Au demeurant, pour nous conformer à l’esprit de notre défunt collègue, nous suivrons l’ordre systématique utilisé dans son Epreuve de titres ; tant il est vrai que la Systématique constitue la base immarcescible de la Parasitologie, qu’il s’agisse de Génétique, d’Epidémiologie, de Biogéographie, d’Ecologie, ou d’Evolution.
1° Nématodes
Dans les années 50, la Taxonomie parasitaire est en plein renouvellement. Jusqu’alors, les caractères d’intérêt phylétique étaient peu exploités et la discipline manquait de nouveaux modèles. D’emblée, Alain Chabaud pressant l’intérêt des Nématodes pour résoudre certains de ces problèmes, d’autant que le groupe considéré, très diversifié au plan morphologique et éco-épidémiologique, présente une importante composante libre : une situation qui permettra de remonter, sans trop de difficultés, aux ancêtres communs.
Déjà, à la Faculté de Médecine de Paris, Alain Chabaud s’était entouré d’élèves compétents et efficaces, tels Annie Petter, spécialiste des Nématodes de Poissons d’Amphibiens et de Reptiles et Yves Golvan, spécialiste des Acanthocéphales. Au Muséum, d’autres collaborateurs, tout aussi valeureux, les rejoindront, ainsi Odile Bain, Marie-Claude Desset, Jean-Pierre Hugot, Jean-Lou Justine et Jean-Claude Quentin.
A cet égard, nous consacrerons quelques lignes aux Strongles, un groupe difficile, plus particulièrement étudié par Marie-Claude Desset, aujourd’hui directeur de recherche émérite au CNRS. Nous prendrons deux exemples de caractères discriminants : les « côtes bursales » et le « synlophe ». 1° Les « côtes bursales », qui forment l’armature de la bourse caudale des Strongles, seront considérés comme les homologues des papilles cloacales des Rhabdites libres. Dès lors, ces Nématodes, tous parasites, pourront dériver d’un ancêtre commun Rhabdites-Strongles, apparu vraisemblablement au début du tertiaire. 2° Le néologisme « synlophe » a été forgé par Robert-Philippe Dollfus pour désigner une formation cuticulaire longitudinale, munie de crêtes permettant la fixation des vers aux villosités intestinales de l’hôte. Son étude a non seulement permis de retrouver la plupart des catégories systématiques inventoriées, mais leur a conféré une signification évolutionnaire. Bien plus, les résultats obtenus avec les strongles adultes, ont pu être appliqués aux larves infestantes L4. Le célèbre aphorisme de Ernst Heckel, souvent décrié: «l’ontogénèse récapitule la phylogénèse», a trouvé une nouvelle justification en Parasitologie. Quelques années plus tard, grâce à l’intervention de Pierre Darlu, l’application des techniques cladistiques, permettait la reconstruction phylogénétique de la superfamille des Trichostrongyloidea. Sa monophylie était confirmée, ainsi que sa diversification en trois rameaux, correspondant aux trois familles déjà individualisées par la Systématique traditionnelle. Enfin l’ensemble des résultats amenait à considérer les Ratites comme les hôtes ancestraux du groupe. Et, confirmation supplémentaire, ces mêmes résultats seront retrouvés lors de l’application des caractères moléculaires au sous-ordre des Trichostrongylina.
La théorie de la «dérive des continents» a également servi dans ces recherches. L’exemple suivant en apporte la preuve. Dès les premiers travaux de l’Equipe-Chabaud, la prise en compte des « caractères naturels» avait permis de considérer la sous-famille des Heligmonellinae, parasites de Phiomorphes africains, comme plus ancienne que celle des Pudicinae, parasites des Caviomorphes américains. Autrement dit, l‘individualisation des Rongeurs Caviomorphes pouvait être à l’origine des Pudicinae. Mais cette conclusion, strictement parasitologique, allait bien au-delà : elle confortait l’hypothèse, volontiers critiquée, des paléontologues-techtoniciens René Lavocat et René Hoffstetter, Pour ces auteurs, la dérive des continents afro-américains était à l’origine de la lignée des Caviomorphes américains à partir des Phyomorphes africains. Par la suite, la faible pression écologique qui devait régner dans les territoires américains nouvellement conquis, expliquait la diversification généro-spécifique des Caviomorphes. Les considérations phylétiques des nématologues confortaient ainsi l’hypothèse de la «migration transformante» des hôtes mammaliens. Par la suite, les processus de «co-évolution hôtes-parasites » (« micro-évolution ») expliquaient la diversification sur place des Pudicinae.
En Epidémiologie la «capture» correspond à l’implantation d’un organisme pathogène dans un nouvel hôte, systématiquement et géographiquement éloigné de l’hôte princeps. Déjà connu en Parasitologie, le phénomène était considéré comme un simple accident de cycle et, pour certains chercheurs, sans influence majeure sur l’évolution du parasite. Avec ses élèves, Alain Chabaud démontrait qu’à l’inverse, le phénomène était déterminant chez de nombreux Nématodes et qu’il pouvait relever d’un comportement alimentaire non spécifique des hôtes. Ainsi, la présence de la même espèce de Strongle, chez les Ruminants et les Lagomorphes, s’expliquait par une source alimentaire commune, la prairie: une remarque riche d’enseignements pour les vétérinaires. Dans d’autres cas, la capture, plus ancienne, était à l’origine de changements majeurs (« macro-évolution »), par exemple, chez les Molineinae, groupe représenté à la fois chez les Amphibiens et les Ruminants, le transfert avait du se produire au début de l’éocène.
Autre important objet d’études, les Filaires, a été abordé par Alain Chabaud et plusieurs de ses élèves, entre autres, Odile Bain. Directeur de recherche émérite au CNRS, Odile Bain a consacré la majeure partie de sa carrière à la Systématique, au cycle épidémiologique et à la physiopathologie de plus de 20 espèces de Filaires. Ses travaux sur le comportement des microfilaires dans le tube digestif des vecteurs sont des modèles d’excellence. Contrairement aux filariologues traditionnels, elle a utilisé la démarche dite «comparée», chère à l’Ecole d’Emile Brumpt. Grâce à de nombreuses missions, elle à pu analyser la diversité systématique et biologique du groupe. Ce faisant, elle a décrit plusieurs espèces nouvelles tant chez les Mammifères, que chez les Reptiles et les Batraciens. Certaines ont permis de construire des modèles formels d’un grand intérêt en physio-pathologie fondamentale (« spécificité parasitaire », phénomènes de « facilitation, de limitation et de proportionnalité »). Entretenues en continu, plusieurs d’entre elles ont essaimé dans les laboratoires de Parasitologie et de Pharmacologie français et étrangers. A ce propos, rappelons l’efficacité de Jean-Claude Quentin dans l’établissement des cycles expérimentaux.
A l’image du sujet précédent, le thème Oxyures, a été pris en compte par Alain Chabaud dès le début de sa carrière. D’abord, avec Ettore Biocca et Yves Golvan, sur les Oxyures des Rongeurs Gliridae, marocains, sénégalais et somaliens, puis avec Jean-Pierre Hugot sur la phylétique du groupe dans son ensemble. A une époque où l’informatique balbutiait, Jean-Pierre Hugot a conduit de remarquables recherches de Taxonomie phylogénétique En véritable pionnier, il a réalisé lui-même les programmes nécessaires à l’analyse numériques des données : un travail fascinant qu’il ne manquait pas de commenter avec talent dans les réunions savantes. Pour lui, les Oxyures pouvaient être considérés comme de véritables marqueurs de l’Evolution.
2°-Trématodes
L’intérêt systématique manifesté par Alain Chabaud pour la «chétotaxie» des Trématodes a été confirmé par Josette Richard, Christiane Dufour, et Jean-Louis Albaret. On doit ce succès au transfert, par Jean-Louis Albaret, de l’élégante technique d’imprégnation argentique de Pierre de Puytorac. Appliquée aux cercaires, puis aux miracidiums, cette technique a permis de concevoir une « structure sensillaire » ancestrale. Devant l’intérêt de la méthode, plusieurs laboratoires extérieurs (Montpellier, Perpignan, Marseille, Lille), disposant d’un matériel riche et diversifié, ont étroitement collaboré au projet. .
Signalons enfin l’efficace participation de l’équipe du Muséum à l’Action concertée DGRST «Ecologie des Bilharzioses en Guadeloupe» Pendant dix ans, les éco-épidémiologistes a confronté leurs hypothèses avec la «vérité terrain». L’éradication de la maladie témoigne aujourd’hui de la qualité de leur prestation.
Parallèlement à ces recherches, la Systématique et l’Ethologie des Plathelminthes libres (Turbellariés) et parasites, ont été largement développées par Jean-Lou Justine.
3°- Hémosporidies
Considéré comme un sujet prioritaire, l’étude systématique et biologique des Plasmodium a été placée sous la responsabilité d’Irène Landau, Professeur au Muséum, aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes mondiaux du groupe.
A la manière des Strongles, stratégie qui lui est chère, Alain Chabaud a préconisé l’approche comparée des Plasmodium S’appuyant sur l’observation de nombreux cycles d’Hémosporidies de Reptiles, d’Oiseaux et de Mammifères, Alain Chabaud et Irène Landau ont émis l’hypothèse que chez les Plasmodium, les gamétocytes et les premiers stades du cycle exoérythrocytaire, sont apparus avant la schizogonie sanguine. Quelques années plus tard, ils font état, chez plusieurs Rongeurs, de deux formes de schizontes hépatiques: l’un de grande taille, à paroi mince et à noyaux nombreux, l’autre plus petit, à paroi épaisse et à noyaux épars et rares. Les premiers disparaissent rapidement du foie. Les seconds, se conservent jusqu’à la mort de l’hôte. Non seulement ces formes subquiescentes expliqueraient les rechutes à long terme, mais représenteraient les véritables mainteneurs naturels des Plasmodium.
Ce savant travail d’inventaire, réalisé à l’occasion de missions au long cours, à conduit les auteurs à la découverte de nombreuses espèces nouvelles. Parmi celles-ci, mentionnons les emblématiques P yoelii et P. chabaudi, présents chez un Rongeur arboricole Thamnomys rutilans. Facilement entretenues au laboratoire, chez la Souris, grâce à des Anopheles stephensi d’élevage, les souches de ces deux Plasmodium ont pu être distribuées dans le monde entier. Elles sont à l’origine de plusieurs centaines de publications et servent toujours de support à de nombreux travaux de Pharmacologie.
Fondation de la «Société Française de Parasitologie»
Certes, en authentique chef d’Ecole, Alain Chabaud savait convertir à ses idées, les chercheurs les plus volontaires et les plus doués. Par la suite, il ne cessera d’en assurer la promotion, administrative et sociale. C’est cette même efficacité que nous retrouvons dans son activité universitaire. La fondation de la Société Française de Parasitologie (SFP) est significative à cet égard.
En 1962, la Fédération mondiale des Sociétés de Parasitologie prépare son premier congrès international, lequel doit se tenir à Rome sous la présidence de Ettore Biocca A la même époque, Alain Chabaud souhaite que la Parasitologie française prenne sa juste place dans la communauté savante. Pour ce faire il saisit l’opportunité de la réunion de Rome. A Paris, il mobilise les plus motivés d’entre nous, entre autres, Jean Biguet, Jacques Callot, Jean-Marie Doby, Claude Dupuys et Pierre-Paul Grassé. Le 7 avril 1962, la SFP est fondée, par décision de l’assemblée constituante, réunie au laboratoire de Parasitologie du Muséum. Elle demande à Claude Dupuy d’en prendre le secrétariat provisoire, bientôt relayé par Alain Chabaud, jusqu’en 1975. Dès sa fondation, la SFP ne cessera de constituer l’épine dorsale de notre communauté : une structure pluridisciplinaire qui va défendre son principe fondateur : l’étude théorique et appliquée du «fait parasitaire» (alias « parasitisme »). Son succès sera le fruit de l’étroite collaboration de plusieurs équipes pratiquant des approches complémentaires, telles que la Taxonomie, la Phylogénèse, la Biogéographie, l’Ecologie, la Génétique, l’Epidémiologie et la Physio-pathologie, tant médicale que vétérinaire. Rappelons que les grands organismes de recherches (CNRS, INSERM, INRA, ORSTOM alias IRD, CIRAD, IFREMER), les Universités de Sciences et de Pharmacie, ainsi que les CHU, soutiendront sans relâche cette activité.
Les «Annales de Parasitologie humaine et comparée», alias «Parasite»
Alain Chabaud considérait comme un devoir moral de défendre les «Annales de Parasitologie humaine et comparée», publication prestigieuse, créée en 1923 par Emile Brumpt, Maurice Langeron et Maurice Neveu-Lemaire De fait, durant de nombreuses années, il en fut «l’âme», toujours attentif à son équilibre financier, autant qu’à la qualité et à la ponctualité de ses publications. Sa situation de professeur au Muséum lui rendait cette tache relativement aisée, d’autant qu’il était également responsable des «Mémoires du Muséum National d’Histoire Naturelle». Cependant, malgré ses efforts, les Annales durent être rachetées à son éditeur Masson et Cie. A cette époque, l’intervention décisive de René Houin permit d’en conserver l’esprit. Seul le titre en fut changé : les «Annales» devinrent «Parasite». Récemment la revue Parasite est passée «en ligne», grâce à l’engagement dynamique de Jean-Lou Justine, autre brillant collaborateur d’Alain Chabaud.
En guise d’adieu
Le 13 mars 2013, un parasitologue d’exception, Alain Gabriel Chabaud, nous quittait, à l’orée de ses 90 ans. Humaniste de tempérament, enseignant-chercheur de formation, il fut, durant sa vie professionnelle et personnelle, un modèle de compétence et d’aménité, dont ont témoigné la puissance de ses idées, la valeur de ses publications et la fidélité de ses collègues et de ses élèves. De toute part, la communauté scientifique lui a rendu un vibrant hommage, le considérant volontiers comme «le meilleur d’entre tous». A notre tour, avec un vif sentiment de fierté, nous honorons ce grand précurseur. Nous le faisons, non seulement au titre d’ancien Président de la Société Française de Parasitologie, mais, et tout autant, de disciple et d’ami.
Jean-Antoine Rioux
Professeur honoraire de Parasitologie (Montpellier)
Ancien Président de la Société Française de Parasitologie