Professeur Alain Chabaud ( 1923 – 2013 )


In memoriam Professeur Alain Chabaud

 

Un naturaliste de base

 

Originaire de ce vert pays Normand, Alain Chabaud se révèle, très tôt, un natu­ra­liste com­plet. Peut-être le fut-il d’emblé, peut être aus­si, comme il aimait à le sou­li­gner, fut-il influen­cé, dès sa prime jeu­nesse, par un ins­ti­tu­teur pas­sion­né de Nature, à cette époque heu­reuse où les haies et les boc­cages n’avait pas encore suc­com­bé au remem­bre­ment. Ce tem­pé­ra­ment qu’il ne ces­se­ra de reven­di­quer, sous-ten­dra sa longue et belle car­rière : par­ve­nu aux plus hautes fonc­tions aca­dé­miques, il res­te­ra tou­jours un « homme de ter­rain ». Bien plus, à l’image d’Emile Brumpt en Afrique Centrale et de Camille Desportes en Afrique occi­den­tale, il condui­ra ses col­la­bo­ra­teurs loin des paillasses, des col­lec­tions et des biblio­thèques, vers de loin­tains et périlleux bivouacs, tou­jours fer­tiles en décou­vertes. On le ver­ra au Maroc (1949), en Iran (1951), à Madagascar (1957) en République Centrafricaine (1965), en Côte d’Ivoire (1966), en Guyane (1970) au Brésil (1972), en Guadeloupe (1973) en Malaisie (1974), en Australie ((1976). Au terme de ces mis­sions, l’ « Equipe-Chabaud » rame­nait tou­jours un abon­dant maté­riel d’études, assor­ti de pro­jets inno­vants. Bien plus, à ces occa­sions, plu­sieurs cher­cheurs étran­gers de renom deve­naient des col­la­bo­ra­teurs assi­dus et… des Français de cœur ! Tel fut le cas des Australiens Ian Beveridge et Dave Spratt. De cette ful­gu­rance épis­té­mo­lo­gique nai­tra et s’épanouira, au sein du Muséum National d’Histoire Naturelle, un Centre de Parasitologie excep­tion­nel, une véri­table «ruche scien­ti­fique », bruis­sant, jour et nuit, du va-et-vient des cher­cheurs, cha­cun atten­tif à décrire et nom­mer un «objet» incon­nu, à révi­ser une col­lec­tion pres­ti­gieuse ou à accli­ma­ter un réser­voir ou un vec­teur. L’installation réus­sie d’un para­site nou­veau était tou­jours l’objet d’une joyeuse céré­mo­nie : enfin, un cycle, jusqu’alors énig­ma­tique, allait livrer ses secrets !

 

Et c’est dans cet esprit, qu’en juin 1968, la « Maison-Chabaud » au grand com­plet avait fui la «chien­lit pari­sienne » pour se réfu­gier dans la Montagne Noire Orientale, squat­tant le vil­lage aban­don­né de La Borie Nouvelle (Hérault) où notre équipe mont­pel­lié­raine «Ecologie des leish­ma­nioses» sta­tion­nait chaque été, pour étu­dier le com­por­te­ment tro­phique et l’infestation natu­relle des Phlébotomes. Certes, les « Parisiens » avaient appor­té leur maté­riel et leurs ins­tru­ments d’optique pour pour­suivre leurs propres tra­vaux ou ache­ver la rédac­tion d’une thèse de doc­to­rat es Sciences, mais, la nuit venue, la plu­part d’entre eux, le «patron» en tête, rejoi­gnait notre groupe pour par­ti­ci­per à l’établissement des cycles nyc­thé­mé­raux des vec­teurs ou à l’isolement des Leishmania. Nous devons à ces ins­tants pri­vi­lé­giés, non seule­ment le per­fec­tion­ne­ment de nos propres tech­niques, mais aus­si de nom­breuses idées ori­gi­nales sur la struc­ture, le fonc­tion­ne­ment et la spé­ci­fi­ci­té du « sys­tème Phlébotomes-Leishmania ».

 

Au demeu­rant, tant au labo­ra­toire que sur le ter­rain, la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té était, pour Chabaud, un impé­ra­tif opé­ra­tion­nel. Citons, en par­ti­cu­lier, l’apport du regret­té méde­cin-vété­ri­naire Francis Petter, Professeur de Zoologie au Muséum et spé­cia­liste recon­nu des Rongeurs déser­tiques, en par­ti­cu­lier des Gerbillidae. Mieux que qui­conque, Francis Petter savait réa­li­ser de fruc­tueuses cap­tures, trans­por­ter les ani­maux en pleine vigueur et les ins­tal­ler in fine dans l’animalerie du labo­ra­toire pari­sien. Avant lui, la repro­duc­tion en conti­nu de cer­tains para­sites était consi­dé­rée comme impro­bable. Après son inter­ven­tion, plu­sieurs taxons nou­veaux, de Vers ou de Protistes, assor­tis de leur vec­teur et de leurs réser­voirs, devaient essai­mer dans les centres de Parasitologie et de Pharmacologie du Monde entier.

 

Un enseignant-chercheur visionnaire

 

Dès l’obtention de son titre de Docteur en Médecine, en 1945, Alain Chabaud intègre le ser­vice de Parasitologie de la Faculté de Médecine de Paris, diri­gé par Emile Brumpt. Après un an d’exercice en qua­li­té de Préparateur, il est nom­mé Assistant (1947), puis Chef de Travaux (1948), enfin Maître de Conférences agré­gé (1952). Parallèlement, il pour­suit ses études à la Faculté des Sciences où il obtient les titres de Licencié ès Sciences (1947) et de Docteur ès Sciences Naturelles (1954). Entre temps (1950), il est inté­gré en qua­li­té de Directeur-adjoint, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, dans le Laboratoire d’Helminthologie et de Parasitologie com­pa­rée, créé par Robert-Philippe Dollfus. Il en devient Directeur en 1958. Deux ans plus tard, à l’âge de 37 ans, il est nom­mé Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle. Pour ce faire, une chaire tra­di­tion­nelle est spé­cia­le­ment créée à son endroit (Zoologie, Vers), une struc­ture effi­cace et souple qu’il ne ces­se­ra de magni­fier, même au-delà de sa retraite (1990). Certes, ce suc­cès pré­coce est à mettre sur le compte d’une belle intel­li­gence et d’une forte volon­té, mais, comme il le fai­sait remar­quer à l’occasion de la remise de la médaille d’argent par la Société Française de Parasitologie, il s’inscrivait aus­si dans la période des «trente glo­rieuses», ces décen­nies de l’après-guerre qui devaient por­ter la recherche fran­çaise à son plus haut niveau d’excellence. En ces temps heu­reux, se met­taient en place ou se restruc­tu­raient les grands Organismes de recherche, tels le CNRS (1939), l’INRA (1946) ou l’INSERM (1964). C’était enfin une époque éco­no­mi­que­ment faste qui per­met­tait la créa­tion de superbes labo­ra­toires, abon­dam­ment pour­vus en maté­riels per­for­mants, en cher­cheurs et en tech­ni­ciens moti­vés. Leur direc­tion incom­bait à de « vrais Patrons », à l’ancienne. Le cha­ris­ma­tique Alain Chabaud fut l’un d’entre eux.

 

 

Le promoteur du «paradigme évolutionnaire»

 

Il est rare qu’une Epreuve de Titres et Travaux soit plei­ne­ment repré­sen­ta­tive de la car­rière d’un cher­cheur. Celle d’Alain Chabaud fait par­tie de cette frac­tion. Avec une plume claire et directe, il nous livre, en deux fas­ci­cules, l’essentiel de son par­cours d’enseignant-chercheur. Dans cha­cun d’eux, il pré­sente le bilan d’une période-clé de sa vie pro­fes­sion­nelle. A leur lec­ture j’ai été sub­mer­gé par une intense jubi­la­tion, celle de ma jeu­nesse de cher­cheur, déjà ins­truite par mes maîtres mont­pel­lié­rains, les natu­ra­listes Hervé Harant et Louis Emberger.

 

Le pre­mier fas­ci­cule (1960) retrace l’intégration du méde­cin-natu­ra­liste Alain Chabaud dans le labo­ra­toire de Parasitologie de la Faculté de Médecine de Paris (1946–1960). Sa pré­co­ci­té scien­ti­fique fait l’admiration de tous. Deux rai­sons à cela : 1° le carac­tère géné­ra­liste des cours et des tra­vaux pra­tiques qui traitent indif­fé­rem­ment de Parasitologie fon­da­men­tale, d’Epidémiologie et de Pathologie exo­tique. Cette poly­va­lence l’amènera à s’imprégner dura­ble­ment de nom­breux groupes sys­té­ma­tiques, qu’il s’agisse de para­sites pro­pre­ment dits, de vec­teurs, Arthrododes et Mollusques, ou de réser­voirs Vertébrés. 2° la diver­si­té et la com­pé­tence des ensei­gnants qu’il côtoie jour­nel­le­ment. Il n’est que de citer les Jacques Callot, Camille Desportes, Robert-Philippe Dolffus, Maurice Langeron, sans oublier les savants étran­gers venus cher­cher un com­plé­ment d’inspiration dans la Maison Brumpt Parmi eux, je ne men­tion­ne­rai que deux des plus pres­ti­gieux, les Professeurs P.C.C. Garnham et Ettore Biocca.

 

Certes l’Epreuve de titres débute par un hom­mage au Chef de Service, Emile Brumpt, mais, pour nous, son inté­rêt réside moins dans ces tra­di­tion­nelles louanges que dans la pré­sen­ta­tion de nou­veaux para­digmes en Parasitologie évo­lu­tive. Ceux-ci sont ini­tia­le­ment basés sur les Nématodes: un groupe sys­té­ma­tique dif­fi­cile, mais qui va per­mettre à Alain Chabaud d’établir des liai­sons solides entre cer­tains carac­tères à forte charge évo­lu­tive et les stades lar­vaires ou sexués cor­res­pon­dants. Parmi les retom­bées fon­da­men­tales, citons les notions de «lignée évo­lu­tive», de «co-évo­lu­tion hôte-para­site» ou de «cap­ture», sans oublier le fas­ci­nant pro­blème de la «spé­cia­tion linéaire ou ponc­tuée ». Dans tous les pro­jets, le Maître demande à ses élèves de prendre en compte l’Ecologie et la Chorologie des hôtes, au même titre que la plas­ti­ci­té intrin­sèque des para­sites, celle qui sera reprise plus tard par les géné­ti­ciens molé­cu­la­ristes. A un autre titre, men­tion­nons son adhé­sion enthou­siaste à la «dérive des conti­nents»: une théo­rie révo­lu­tion­naire pour l’époque, défen­due avec brio par Max Vachon, son col­lègue au Muséum.

 

Le second fas­ci­cule de l’Epreuve (1977) fait état des résul­tats obte­nus après   l’application concrète des para­digmes et des nou­veaux concepts. On y découvre la seconde vie scien­ti­fique d’Alain Chabaud, celle du Professeur au Muséum et du chef d’Ecole res­pec­té. Il est invi­té offi­ciel­le­ment dans de nom­breux pays du Monde, entre autres : Madagascar (Institut Pasteur, 1961) Italie (Premier Congrès International de Parasitologie, 1964), République Centrafricaine (Station de La Maboké, 1965), Congo-Brazzaville (ORSTOM, 1066), Iran (Congrès International de Médecine Tropicale, 1968), Tchécoslovaquie (Congrès d’Ecologie Parasitaire, 1970), Canada (Université de Guelph, 1970), USA (Deuxième Congrès International de Parasitologie, 1970), Union Soviétique (Académie des Sciences de l’URSS, 1973), Autriche (Troisième Congrès International de Parasitologie,1973), et Brésil (Coopération Franco-Brésilienne, 1976). En 1968 il est hono­ré du Prix Foulon de l’Institut de France. Un an plus tard Il est élu Président de la Société Zoologique de France. Au demeu­rant, si Alain Chabaud n’était pas par­ti­cu­liè­re­ment atti­ré par les dis­tinc­tions hono­ri­fiques, c’est avec beau­coup de spon­ta­néi­té et de tact qu’il avait accep­té d’être déco­ré au grade de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur (1974). Cette dis­tinc­tion lui était d’autant plus chère que la demande avait été for­te­ment appuyée par son col­lègue et ami Jean Dorst, Professeur de Zoologie, Directeur du Muséum National d’Histoire Naturelle et infa­ti­gable défen­seur de la faune, de la flore et des milieux de vies. 

 

Travaux de recherches 

 

 Pour ne pas alour­dir le pré­sent hom­mage, nous regrou­pe­rons, en quelques exemples, les tra­vaux de Alain Chabaud. Certes, les pre­miers en date ont été réa­li­sés à la Faculté de Médecine, mais la majo­ri­té, sur­tout ceux conduits au Muséum, ont répon­du à des appels d’offre issus des Universités, du CNRS, de l’OMS, de l’INRA ou du Muséum lui-même. Pour la plu­part, ils ont inté­gré des col­la­bo­ra­teurs exté­rieurs et des élèves en cours de sco­la­ri­té. Au demeu­rant, pour nous confor­mer à l’esprit de notre défunt col­lègue, nous sui­vrons l’ordre sys­té­ma­tique uti­li­sé dans son Epreuve de titres ; tant il est vrai que la Systématique consti­tue la base immar­ces­cible de la Parasitologie, qu’il s’agisse de Génétique, d’Epidémiologie, de Biogéographie, d’Ecologie, ou d’Evolution.

              

   1° Nématodes 

 Dans les années 50, la Taxonomie para­si­taire est en plein renou­vel­le­ment. Jusqu’alors, les carac­tères d’intérêt phy­lé­tique étaient peu exploi­tés et la dis­ci­pline   man­quait de nou­veaux modèles. D’emblée, Alain Chabaud pres­sant l’intérêt des Nématodes pour résoudre cer­tains de ces pro­blèmes, d’autant que le groupe consi­dé­ré, très diver­si­fié au plan mor­pho­lo­gique et éco-épi­dé­mio­lo­gique, pré­sente une impor­tante com­po­sante libre : une situa­tion qui per­met­tra de remon­ter, sans trop de dif­fi­cul­tés, aux ancêtres communs.

 

Déjà, à la Faculté de Médecine de Paris, Alain Chabaud s’était entou­ré d’élèves com­pé­tents et effi­caces, tels Annie Petter, spé­cia­liste des Nématodes de Poissons d’Amphibiens et de Reptiles et Yves Golvan, spé­cia­liste des Acanthocéphales. Au Muséum, d’autres col­la­bo­ra­teurs, tout aus­si valeu­reux, les rejoin­dront, ain­si Odile Bain, Marie-Claude Desset, Jean-Pierre Hugot, Jean-Lou Justine et Jean-Claude Quentin. 

 

A cet égard, nous consa­cre­rons quelques lignes aux Strongles, un groupe dif­fi­cile, plus par­ti­cu­liè­re­ment étu­dié par Marie-Claude Desset, aujourd’hui direc­teur de recherche émé­rite au CNRS. Nous pren­drons deux exemples de carac­tères dis­cri­mi­nants : les « côtes bur­sales » et le « syn­lophe ». 1° Les « côtes bur­sales », qui forment l’armature de la bourse cau­dale des Strongles, seront consi­dé­rés comme les homo­logues des papilles cloa­cales des Rhabdites libres. Dès lors, ces Nématodes, tous para­sites, pour­ront déri­ver d’un ancêtre com­mun Rhabdites-Strongles, appa­ru vrai­sem­bla­ble­ment au début du ter­tiaire. 2° Le néo­lo­gisme « syn­lophe » a été for­gé par Robert-Philippe Dollfus pour dési­gner une for­ma­tion cuti­cu­laire lon­gi­tu­di­nale, munie de crêtes per­met­tant la fixa­tion des vers aux vil­lo­si­tés intes­ti­nales de l’hôte. Son étude a non seule­ment per­mis de retrou­ver la plu­part des caté­go­ries sys­té­ma­tiques inven­to­riées, mais leur a confé­ré une signi­fi­ca­tion évo­lu­tion­naire. Bien plus, les résul­tats obte­nus avec les strongles adultes, ont pu être appli­qués aux larves infes­tantes L4. Le célèbre apho­risme de Ernst Heckel, sou­vent décrié: «l’ontogénèse réca­pi­tule la phy­lo­gé­nèse», a trou­vé une nou­velle jus­ti­fi­ca­tion en Parasitologie. Quelques années plus tard, grâce à l’intervention de Pierre Darlu, l’application des tech­niques cla­dis­tiques, per­met­tait la recons­truc­tion phy­lo­gé­né­tique de la super­fa­mille des Trichostrongyloidea. Sa mono­phy­lie était confir­mée, ain­si que sa diver­si­fi­ca­tion en trois rameaux, cor­res­pon­dant aux trois familles déjà indi­vi­dua­li­sées par la Systématique tra­di­tion­nelle. Enfin l’ensemble des résul­tats ame­nait à consi­dé­rer les Ratites comme les hôtes ances­traux du groupe. Et, confir­ma­tion sup­plé­men­taire, ces mêmes résul­tats seront retrou­vés lors de l’application des carac­tères molé­cu­laires au sous-ordre des Trichostrongylina.

 

 La théo­rie de la «dérive des conti­nents» a éga­le­ment ser­vi dans ces recherches. L’exemple sui­vant en apporte la preuve. Dès les pre­miers tra­vaux de l’Equipe-Chabaud, la prise en compte des « carac­tères natu­rels» avait per­mis de consi­dé­rer la sous-famille des Heligmonellinae, para­sites de Phiomorphes afri­cains, comme plus ancienne que celle des Pudicinae, para­sites des Caviomorphes amé­ri­cains. Autrement dit, l‘individualisation des Rongeurs Caviomorphes pou­vait être à l’origine des Pudicinae. Mais cette conclu­sion, stric­te­ment para­si­to­lo­gique, allait bien au-delà : elle confor­tait l’hypothèse, volon­tiers cri­ti­quée, des paléon­to­logues-tech­to­ni­ciens René Lavocat et René Hoffstetter, Pour ces auteurs, la dérive des conti­nents afro-amé­ri­cains était à l’origine de la lignée des Caviomorphes amé­ri­cains à par­tir des Phyomorphes afri­cains. Par la suite, la faible pres­sion éco­lo­gique qui devait régner dans les ter­ri­toires amé­ri­cains nou­vel­le­ment conquis, expli­quait la diver­si­fi­ca­tion géné­ro-spé­ci­fique des Caviomorphes. Les consi­dé­ra­tions phy­lé­tiques des néma­to­logues confor­taient ain­si l’hypothèse de la «migra­tion trans­for­mante» des hôtes mam­ma­liens. Par la suite, les pro­ces­sus de «co-évo­lu­tion hôtes-para­sites » (« micro-évo­lu­tion ») expli­quaient la diver­si­fi­ca­tion sur place des Pudicinae.

 

 En Epidémiologie la «cap­ture» cor­res­pond à l’implantation d’un orga­nisme patho­gène dans un nou­vel hôte, sys­té­ma­ti­que­ment et géo­gra­phi­que­ment éloi­gné de l’hôte prin­ceps. Déjà connu en Parasitologie, le phé­no­mène était consi­dé­ré comme un simple acci­dent de cycle et, pour cer­tains cher­cheurs, sans influence majeure sur l’évolution du para­site. Avec ses élèves, Alain Chabaud démon­trait qu’à l’inverse, le phé­no­mène était déter­mi­nant chez de nom­breux Nématodes et qu’il pou­vait rele­ver d’un com­por­te­ment ali­men­taire non spé­ci­fique des hôtes. Ainsi, la pré­sence de la même espèce de Strongle, chez les Ruminants et les Lagomorphes, s’expliquait par une source ali­men­taire com­mune, la prai­rie: une remarque riche d’enseignements pour les vété­ri­naires. Dans d’autres cas, la cap­ture, plus ancienne, était à l’origine de chan­ge­ments majeurs (« macro-évo­lu­tion »), par exemple, chez les Molineinae, groupe repré­sen­té à la fois chez les Amphibiens et les Ruminants, le trans­fert avait du se pro­duire au début de l’éocène.        

 

Autre impor­tant objet d’études, les Filaires, a été abor­dé par Alain Chabaud et plu­sieurs de ses élèves, entre autres, Odile Bain. Directeur de recherche émé­rite au CNRS, Odile Bain a consa­cré la majeure par­tie de sa car­rière à la Systématique, au cycle épi­dé­mio­lo­gique et à la phy­sio­pa­tho­lo­gie de plus de 20 espèces de Filaires. Ses tra­vaux sur le com­por­te­ment des micro­fi­laires dans le tube diges­tif des vec­teurs sont des modèles d’excellence. Contrairement aux fila­rio­logues tra­di­tion­nels, elle a uti­li­sé la démarche dite «com­pa­rée», chère à l’Ecole d’Emile Brumpt. Grâce à de nom­breuses mis­sions, elle à pu ana­ly­ser la diver­si­té sys­té­ma­tique et bio­lo­gique du groupe. Ce fai­sant, elle a décrit plu­sieurs espèces nou­velles tant chez les Mammifères, que chez les Reptiles et les Batraciens. Certaines ont per­mis de construire des modèles for­mels d’un grand inté­rêt en phy­sio-patho­lo­gie fon­da­men­tale (« spé­ci­fi­ci­té para­si­taire », phé­no­mènes de « faci­li­ta­tion, de limi­ta­tion et de pro­por­tion­na­li­té »). Entretenues en conti­nu, plu­sieurs d’entre elles ont essai­mé dans les labo­ra­toires de Parasitologie et de Pharmacologie fran­çais et étran­gers. A ce pro­pos, rap­pe­lons l’efficacité de Jean-Claude Quentin dans l’établissement des cycles expérimentaux. 

 

A l’image du sujet pré­cé­dent, le thème Oxyures, a été pris en compte par Alain Chabaud dès le début de sa car­rière. D’abord, avec Ettore Biocca et Yves Golvan, sur les Oxyures des Rongeurs Gliridae, maro­cains, séné­ga­lais et soma­liens, puis avec Jean-Pierre Hugot sur la phy­lé­tique du groupe dans son ensemble. A une époque où l’informatique bal­bu­tiait, Jean-Pierre Hugot a conduit de remar­quables recherches de Taxonomie phy­lo­gé­né­tique En véri­table pion­nier, il a réa­li­sé lui-même les pro­grammes néces­saires à l’analyse numé­riques des don­nées : un tra­vail fas­ci­nant qu’il ne man­quait pas de com­men­ter avec talent dans les réunions savantes. Pour lui, les Oxyures pou­vaient être consi­dé­rés comme de véri­tables mar­queurs de l’Evolution.

 

   2°-Trématodes

 

L’intérêt sys­té­ma­tique mani­fes­té par Alain Chabaud pour la «ché­to­taxie» des Trématodes a été confir­mé par Josette Richard, Christiane Dufour, et Jean-Louis Albaret. On doit ce suc­cès au trans­fert, par Jean-Louis Albaret, de l’élégante tech­nique d’imprégnation argen­tique de Pierre de Puytorac. Appliquée aux cer­caires, puis aux mira­ci­diums, cette tech­nique a per­mis de conce­voir une « struc­ture sen­sillaire » ances­trale. Devant l’intérêt de la méthode, plu­sieurs labo­ra­toires exté­rieurs (Montpellier, Perpignan, Marseille, Lille), dis­po­sant d’un maté­riel riche et diver­si­fié, ont étroi­te­ment col­la­bo­ré au projet. .

 

Signalons enfin l’efficace par­ti­ci­pa­tion de l’équipe du Muséum à l’Action concer­tée DGRST «Ecologie des Bilharzioses en Guadeloupe» Pendant dix ans, les éco-épi­dé­mio­lo­gistes a confron­té leurs hypo­thèses avec la «véri­té ter­rain». L’éradication de la mala­die témoigne aujourd’hui de la qua­li­té de leur prestation.

 

Parallèlement à ces recherches, la Systématique et l’Ethologie des Plathelminthes libres (Turbellariés) et para­sites, ont été lar­ge­ment déve­lop­pées par Jean-Lou Justine.

 

3°- Hémosporidies

 

Considéré comme un sujet prio­ri­taire, l’étude sys­té­ma­tique et bio­lo­gique des Plasmodium a été pla­cée sous la res­pon­sa­bi­li­té d’Irène Landau, Professeur au Muséum, aujourd’hui l’un des meilleurs spé­cia­listes mon­diaux du groupe.

 

A la manière des Strongles, stra­té­gie qui lui est chère, Alain Chabaud a pré­co­ni­sé l’approche com­pa­rée des Plasmodium S’appuyant sur l’observation de nom­breux cycles d’Hémosporidies de Reptiles, d’Oiseaux et de Mammifères, Alain Chabaud et Irène Landau ont émis l’hypothèse que chez les Plasmodium, les gamé­to­cytes et les pre­miers stades du cycle exoé­ry­thro­cy­taire, sont appa­rus avant la schi­zo­go­nie san­guine. Quelques années plus tard, ils font état, chez plu­sieurs Rongeurs, de deux formes de schi­zontes hépa­tiques: l’un de grande taille, à paroi mince et à noyaux nom­breux, l’autre plus petit, à paroi épaisse et à noyaux épars et rares. Les pre­miers dis­pa­raissent rapi­de­ment du foie. Les seconds, se conservent jusqu’à la mort de l’hôte. Non seule­ment ces formes sub­quies­centes expli­que­raient les rechutes à long terme, mais repré­sen­te­raient les véri­tables main­te­neurs natu­rels des Plasmodium.

Ce savant tra­vail d’inventaire, réa­li­sé à l’occasion de mis­sions au long cours, à conduit les auteurs à la décou­verte de nom­breuses espèces nou­velles. Parmi celles-ci, men­tion­nons les emblé­ma­tiques P yoe­lii et P. cha­bau­di, pré­sents chez un Rongeur arbo­ri­cole Thamnomys ruti­lans. Facilement entre­te­nues au labo­ra­toire, chez la Souris, grâce à des Anopheles ste­phen­si d’élevage, les souches de ces deux Plasmodium ont pu être dis­tri­buées dans le monde entier. Elles sont à l’origine de plu­sieurs cen­taines de publi­ca­tions et servent tou­jours de sup­port à de nom­breux tra­vaux de Pharmacologie.

 

 

Fondation de la «Société Française de Parasitologie»

 

Certes, en authen­tique chef d’Ecole, Alain Chabaud savait conver­tir à ses idées, les cher­cheurs les plus volon­taires et les plus doués. Par la suite, il ne ces­se­ra d’en assu­rer la pro­mo­tion, admi­nis­tra­tive et sociale. C’est cette même effi­ca­ci­té que nous retrou­vons dans son acti­vi­té uni­ver­si­taire. La fon­da­tion de la Société Française de Parasitologie (SFP) est signi­fi­ca­tive à cet égard.

En 1962, la Fédération mon­diale des Sociétés de Parasitologie pré­pare son pre­mier congrès inter­na­tio­nal, lequel doit se tenir à Rome sous la pré­si­dence de Ettore Biocca A la même époque, Alain Chabaud sou­haite que la Parasitologie fran­çaise prenne sa juste place dans la com­mu­nau­té savante. Pour ce faire il sai­sit l’opportunité de la réunion de Rome. A Paris, il mobi­lise les plus moti­vés d’entre nous, entre autres, Jean Biguet, Jacques Callot, Jean-Marie Doby, Claude Dupuys et Pierre-Paul Grassé. Le 7 avril 1962, la SFP est fon­dée, par déci­sion de l’assemblée consti­tuante, réunie au labo­ra­toire de Parasitologie du Muséum. Elle demande à Claude Dupuy d’en prendre le secré­ta­riat pro­vi­soire, bien­tôt relayé par Alain Chabaud, jusqu’en 1975. Dès sa fon­da­tion, la SFP ne ces­se­ra de consti­tuer l’épine dor­sale de notre com­mu­nau­té : une struc­ture plu­ri­dis­ci­pli­naire qui va défendre son prin­cipe fon­da­teur : l’étude théo­rique et appli­quée du «fait para­si­taire» (alias « para­si­tisme »). Son suc­cès sera le fruit de l’étroite col­la­bo­ra­tion de plu­sieurs équipes pra­ti­quant des approches com­plé­men­taires, telles que la Taxonomie, la Phylogénèse, la Biogéographie, l’Ecologie, la Génétique, l’Epidémiologie et la Physio-patho­lo­gie, tant médi­cale que vété­ri­naire. Rappelons que les grands orga­nismes de recherches (CNRS, INSERM, INRA, ORSTOM alias IRD, CIRAD, IFREMER), les Universités de Sciences et de Pharmacie, ain­si que les CHU, sou­tien­dront sans relâche cette activité.

Les «Annales de Parasitologie humaine et comparée», alias «Parasite»

 

Alain Chabaud consi­dé­rait comme un devoir moral de défendre les «Annales de Parasitologie humaine et com­pa­rée», publi­ca­tion pres­ti­gieuse, créée en 1923 par Emile Brumpt, Maurice Langeron et Maurice Neveu-Lemaire De fait, durant de nom­breuses années, il en fut «l’âme», tou­jours atten­tif à son équi­libre finan­cier, autant qu’à la qua­li­té et à la ponc­tua­li­té de ses publi­ca­tions. Sa situa­tion de pro­fes­seur au Muséum lui ren­dait cette tache rela­ti­ve­ment aisée, d’autant qu’il était éga­le­ment res­pon­sable des «Mémoires du Muséum National d’Histoire Naturelle». Cependant, mal­gré ses efforts, les Annales durent être rache­tées à son édi­teur Masson et Cie. A cette époque, l’intervention déci­sive de René Houin per­mit d’en conser­ver l’esprit. Seul le titre en fut chan­gé : les «Annales» devinrent «Parasite». Récemment la revue Parasite est pas­sée «en ligne», grâce à l’engagement dyna­mique de Jean-Lou Justine, autre brillant col­la­bo­ra­teur d’Alain Chabaud.

 

En guise d’adieu

 Le 13 mars 2013, un para­si­to­logue d’exception, Alain Gabriel Chabaud, nous quit­tait, à l’orée de ses 90 ans. Humaniste de tem­pé­ra­ment, ensei­gnant-cher­cheur de for­ma­tion, il fut, durant sa vie pro­fes­sion­nelle et per­son­nelle, un modèle de com­pé­tence et d’aménité, dont ont témoi­gné la puis­sance de ses idées, la valeur de ses publi­ca­tions et la fidé­li­té de ses col­lègues et de ses élèves. De toute part, la com­mu­nau­té scien­ti­fique lui a ren­du un vibrant hom­mage, le consi­dé­rant volon­tiers comme «le meilleur d’entre tous». A notre tour, avec un vif sen­ti­ment de fier­té, nous hono­rons ce grand pré­cur­seur. Nous le fai­sons, non seule­ment au titre d’ancien Président de la Société Française de Parasitologie, mais, et tout autant, de dis­ciple et d’ami.

 

 

Jean-Antoine Rioux

Professeur hono­raire de Parasitologie (Montpellier)

Ancien Président de la Société Française de Parasitologie

j.a.rioux@wanadoo.fr